Droits de douane, protectionnisme et tensions géopolitiques : comment la politique commerciale des États-Unis refonde l’ordre mondial

Droits de douane, protectionnisme et tensions géopolitiques : comment la politique commerciale des États-Unis refonde l’ordre mondial

points clés.

  • Les choix politiques des États-Unis redessinent les contours du commerce mondial et de la géopolitique
  • La Chine exploite les faiblesses des États-Unis, mais elle doit affronter ses propres défis structurels
  • La montée du protectionnisme génère des frictions, mais aussi de nouvelles opportunités d’« investir dans la résilience »
  • Malgré l’incertitude et la volatilité entraînées par les droits de douane décrétés par le président Trump le « jour de la libération », nous ne tablons pas sur une récession.

Depuis le 20 janvier dernier, les investisseurs s’inquiètent des incertitudes engendrées par le deuxième mandat de Donald Trump. Peu après l’annonce des droits de douane par le président américain lors du « jour de la libération », début avril, des réductions, des pauses et négociations ont rapidement suivi. Les marchés, qui avaient commencé par souffrir, ont promptement effacé leurs pertes.

Les États-Unis maintiennent tout de même des droits de douane élevés et menacent de les augmenter davantage en cas d’échec des nombreuses négociations commerciales bilatérales menées actuellement. Les marchés se préoccupent notamment des nouvelles augmentations de droits de douane imposées à la Chine et à l’UE, deux grands exportateurs vers les États-Unis.

Face à ce contexte incertain, Lombard Odier a récemment organisé, à son siège de Genève, un événement visant à répondre à une question cruciale que de nombreux investisseurs se posent : « Quel impact aura la politique commerciale américaine sur l’économie mondiale et sur l’ordre géopolitique mondial ? »

Cet événement a réuni des leaders d’opinion, tels que Samy Chaar, Chief Economist et CIO Switzerland chez Lombard Odier, ainsi que Frédéric Koller, journaliste géopolitique de renom et spécialiste de la Chine au journal Le Temps. Ils ont partagé leurs points de vue sur les perspectives à moyen et long terme de l’économie mondiale et ont cherché à savoir si la Chine avait maintenant devant elle une opportunité historique de prendre la place des États-Unis en tant que première superpuissance mondiale. 

La faiblesse des États-Unis...

Frédéric Koller a lancé les discussions en se demandant si la politique étrangère des États-Unis minait ou non son rôle de leader mondial.

« Depuis plus de 80 ans, le leadership américain est la principale caractéristique de l’ordre mondial », a-t-il déclaré. « C’est la fameuse Pax Americana : des alliances militaires telles que l’OTAN, véritable colonne vertébrale de la défense européenne ; la liberté du commerce maritime, protégée par une présence militaire américaine mondiale ; la garantie des normes internationales à travers l’ONU et ses agences ; et le soft power américain. »

Nous assistons au début d’un phénomène totalement inédit : une « fuite des cerveaux » aux États-Unis

Or, poursuivait-il, « Trump affaiblit cet ordre international. Les guerres de droits de douane qu’il mène même contre ses plus proches alliés, comme l’UE, le Royaume-Uni, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, menacent les alliances de ces pays avec les États-Unis. L’attaque de JD Vance contre les valeurs européennes lors de la Conférence de Munich sur la sécurité a été un véritable coup de tonnerre. De plus, l’appétit de Trump pour le Groenland remet directement en question l’avenir de l’OTAN. Son idée de faire du Canada le 51e Etat américain sape également la solidarité nord-américaine. Les fondements mêmes de la Pax Americana sont à présent remis en cause. »

Il a ensuite ajouté : « les attaques sur la liberté des universités soulèvent des questions sur la capacité du pays à innover, tandis que le durcissement des restrictions frontalières réduit l’attractivité des États-Unis pour les talents étrangers. Nous assistons au début d’un phénomène totalement inédit : une “fuite des cerveaux” aux États-Unis. »

... face à la force chinoise

L’agressivité affichée par Trump dans ses politiques sert les intérêts du président chinois Xi Jinping, a ajouté Frédéric Koller. « La Chine est de plus en plus crédible. Le pays semble maintenant stable et prévisible, à l’opposé de la fragilité affichée aujourd’hui par les démocraties occidentales. C’est un profond changement par rapport à la situation que l’on pouvait observer il y a 20 ou 30 ans. La démocratie était alors synonyme de stabilité. Cet affaiblissement de la démocratie profite au modèle chinois. »

Les fondements mêmes de la Pax Americana sont à présent remis en cause

« La Chine a déjà rattrapé une bonne partie de son retard sur les États-Unis et représente aujourd’hui 18% du PIB mondial. Elle semble être le seul pays suffisamment puissant pour s’opposer aux États-Unis et dire “non”, par exemple, avec ses droits de douane réciproques. Trump contribue à cette solidité en renforçant le rôle de leader joué par la Chine dans les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). La Chine s’affirme également davantage au sein de l’ONU, étant donné que les États-Unis se mettent en retrait. »

Le « découplage » entre les États-Unis et la Chine a d’autres avantages pour la locomotive de l’Asie de l’Est, expliquait Koller. Avec la séparation des deux pays, la Chine consolide sa capacité d’innovation, renforce sa puissance militaire et promeut le yuan comme une solution alternative au dollar pour le règlement du commerce international. En résumé, la Chine est poussée vers l’« autonomie stratégique ».

La Chine consolide sa capacité d’innovation, renforce sa puissance militaire et promeut le yuan comme une solution alternative au dollar pour le règlement du commerce international

La Chine au sommet d’un nouvel ordre géopolitique ?

Pour autant, selon Frédéric Koller, il ne faut pas automatiquement supposer que la Chine remplacera les États-Unis en tant que première superpuissance mondiale. « La Chine a des problèmes structurels. Elle est devenue l’usine du monde, mais ce modèle a des limites, comme la surproduction. Le PCC (Parti communiste chinois) doit rééquilibrer la croissance. Peut-il toutefois faire en sorte que la consommation intérieure prenne le relais des exportations ? »

Koller a ensuite présenté d’autres défauts dont souffre la Chine. « La Chine vieillira-t-elle avant de s’enrichir ? Le pays est confronté au vieillissement et au déclin démographique. Il reste une puissance en développement où la pauvreté est élevée. »

« C’est également une puissance contrainte », a-t-il ajouté. « Contrairement aux États-Unis, la Chine n’a pas de véritable allié. La Russie est actuellement son alliée la plus proche de par la vision qu’elles partagent des relations internationales. Cependant, leurs relations ne s’appuient pas sur des valeurs communes ou sur la confiance, et encore moins sur une estime mutuelle. »

Tout en admettant que « les politiques de Trump offrent à la Chine une occasion historique de peser davantage sur l’échiquier géopolitique au détriment des États-Unis », il a expliqué, en guise de conclusion, que « les États-Unis ne connaîtront cependant pas de déclin important et ne seront pas remplacés par la Chine. Les États-Unis sont un pays plus jeune et la démocratie reste un avantage pour les Américains grâce à la flexibilité de leurs institutions. Au bout du compte, nous devrions tabler sur un monde plus multipolaire, dans lequel les États-Unis et la Chine verront leurs puissances rééquilibrées. »

Lire aussi: Rethink Perspectives : gérer la complexité entre droits de douane, fragmentation géopolitique et IA

Investir dans l’autonomie, une nouvelle réalité économique

Samy Chaar est d’accord avec l’idée qu’un monde plus fragmenté et moins certain se profile devant nous. Pour les investisseurs, a-t-il déclaré, « nous sommes entrés dans une nouvelle réalité économique. Le monde de l’interdépendance s’appuyait sur la Chine pour les biens bon marché, et sur l’Arabie saoudite et la Russie pour l’énergie à bas prix. C’était efficace. Aujourd’hui, toutefois, nous vivons dans un monde fragmenté. »

« Nous réduisons notre dépendance à l’égard des autres. Les pays cherchent à renforcer leur autonomie en matière d’énergie, de défense, de technologie et d’infrastructure. De plus, de nouvelles alliances se forment. L’ère de la libéralisation fait place à une nouvelle logique de blocs stratégiques. »

Il a cependant expliqué que cette autonomie n’était pas gratuite. « Les Américains ont été les premiers à le comprendre. Ils ont mis USD 3’000 milliards sur la table, l’équivalent du double du plan Marshall lancé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont investi dans les infrastructures, les puces informatiques, la défense et l’énergie. Auparavant classés au troisième rang, les États-Unis sont maintenant le premier producteur mondial de pétrole. Ils ont montré que l’investissement massif donne des résultats. »

L’ère de la libéralisation fait place à une nouvelle logique de blocs stratégiques

Après des années de stagnation des investissements, l’Europe commence à rattraper son retard, a-t-il poursuivi. « Historiquement, l’Europe a trop épargné. L’UE a hésité à s’endetter pour investir. Aux États-Unis, l’endettement atteint 125% du PIB, contre 85% en Europe. Mais les choses sont en train de changer. Aujourd’hui, l’Europe est consciente qu’il lui faut investir pour sécuriser son approvisionnement énergétique et ses chaînes de valeur. L’Allemagne a modifié la règle de son frein à l’endettement. Aujourd’hui, le pays prévoit d’investir EUR 500 milliards. De plus, Ursula von der Leyen a annoncé EUR 800 milliards d’investissements supplémentaires, principalement dans la défense. »

Même si les montants nécessaires sont élevés, continuait Samy Chaar, ils peuvent être financés grâce au secteur privé. « En Europe, le déficit public est une source de préoccupation. Mais nous devons penser au secteur privé. Par exemple, une fois pris en compte l’excédent d’épargne privé, la France est à l’équilibre, tandis que l’Allemagne et la Suisse affichent aussi des excédents. Les États-Unis ont longtemps attiré les investissements, mais l’Europe investit désormais dans l’autonomie, ce qui aura des effets sur les flux de capitaux. » 

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L’électron libre Trump provoque une mutation des marchés, mais pas une crise

« Les politiques du président Trump sont une inconnue pour les États-Unis et le reste du monde », a décrit Samy Chaar. Pourtant, selon lui, malgré l’incertitude et l’augmentation du risque politique, les retombées macroéconomiques restent gérables. Les chaînes d’approvisionnement se sont montrées résilientes et se sont rapidement adaptées aux nouvelles tensions géopolitiques. Le prix du fret maritime, dont dépend la majeure partie du commerce mondial et qui avait bondi pendant la pandémie, s’est normalisé dans l’ensemble.

De même, a-t-il expliqué, « l’économie va s’adapter aux droits de douane. L’inflation résiduelle peut être en partie compensée par l’augmentation des salaires. Les revenus réels et la consommation devraient rester positifs. » Il a toutefois indiqué qu’aux États-Unis, « les droits de douane du président Trump ne sont pas seulement un problème pour le commerce, mais aussi une force inflationniste. S’ils sont réintroduits ou étendus, ils pourraient compliquer les efforts de la Fed en matière de normalisation de sa politique. » Même si les droits de douane sont maintenus à leur niveau actuel, a-t-il annoncé, la Fed va probablement maintenir des taux d’intérêt élevés plus longtemps que la Banque centrale européenne ou la Banque nationale suisse.

Dans l’ensemble de l’économie mondiale, conclut-il « on observera des ralentissements. Pourtant, malgré les droits de douane, le monde reste expansionniste, nous ne nous dirigeons pas vers une récession. L’économie mondiale se réorganise. Face à cette évolution, nous devons veiller au positionnement flexible de nos portefeuilles afin de pouvoir nous adapter aussi rapidement que possible. »

Malgré les droits de douane, le monde reste expansionniste, nous ne nous dirigeons pas vers une récession

Comment aborder le nouvel ordre

En conclusion de l’événement, Nicolas Chatillon, Associé et Senior Private Banker chez Lombard Odier, a examiné comment les investisseurs devraient aborder ce nouvel ordre.

« Dans un monde de plus en plus complexe, il est important de filtrer le bruit et de se concentrer sur les tendances à long terme et sur les facteurs qui comptent réellement pour l’économie. Ce sont ces éléments qui déterminent les performances de nos investissements. Selon nous, l’environnement économique et financier actuel nous impose de surveiller de près nos allocations stratégiques et de chercher les rendements », a-t-il conclu.

Chez Lombard Odier, nous repensons le monde qui nous entoure pour développer de nouvelles perspectives d’investissement. Et nous sommes prêts à saisir les opportunités là où d’autres ne voient que des difficultés. Nous sommes convaincus que l’émergence d’un nouvel ordre mondial, plus fragmenté, offre une telle opportunité. Alors que le cadre du commerce mondialisé est remplacé par des blocs, de nouvelles opportunités d’investissement apparaîtront, les gouvernements cherchant à sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement dans de nombreux secteurs. Dans l’énergie, la défense, la technologie, l’infrastructure et l’industrie, nous pensons que des possibilités d’« investir dans la résilience » se matérialiseront, car les partenariats public-privé déclencheront une vague d’investissements nationaux à grande échelle.

La plupart des investisseurs y verront de bonnes raisons de rester prudents. Nous estimons à l’inverse que la concurrence entre les grandes puissances de ce monde redistribue les opportunités.

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